L'aventure

Les défis de la narration

Lorsque nous prenons en main l’élégant petit objet qui a focalisé l’attention de toute l’équipe d’intuitifs, il y a plus d’interrogations que de réponses. Oui, le rapport donne des pistes quant à ses origines, sa fabrication et ses possibles fonctions. Mais il faut refaire une passe et cibler cette fois ses propriétaires. Très vite, Eric pense à un panneau à mettre dans le musée, raconter l’histoire de l’objet mais aussi celle de l’archéologie intuitive, pour rendre ce savoir accessible à tous. Nous ne pouvons pas être les seuls témoins d’une telle expérience. Faire de nouvelles sessions soit, mais comment raconter l’histoire d’un objet par le biais de telles informations ? Par quelle voie ? Le dessin offre une solution pratique.

Au moment où nous discutons à Nice autour du cruchon, je suis uniquement là pour filmer les événements, tel un documentariste. Mais le destin me tend encore sa main amicale, et je n’ai qu’à la saisir : « j’aimerais la dessiner, cette histoire ». Au fond de moi, je sais bien que je suis là pour ça. Alexis le pressentait-il dès le début de l’aventure ? Ça ne m’étonnerait pas de lui. Une fois la proposition acceptée, il faut se montrer à la hauteur des attentes. Comment traiter cette masse de données éparses sur le cruchon ? Plusieurs époques, propriétaires, lieux et fonctions, sont décrits : de quoi donner le vertige. Des informations d’une extraordinaire précision émergent et dans le même temps, un flou artistique demeure : à quelles dates se référer ? Quelles villes représenter ? Quelles physionomies privilégier ? Car il s’agit bien de choisir, parmi cette foule de propriétaires successifs sortis de la brume des siècles. Potiers, marchands, apothicaires, moines, marins, bourgeois… autant de personnages possibles.

Les défis de la narration - Personnages - Projet Oracle

Premières esquisses suggérées par Guillaume durant le travail préparatoire

Pour comprendre le sens de certaines descriptions, il faut faire des recherches. En passionné lumineux, Guillaume se jette dans le travail, trop heureux de partir à nouveau à l’aventure sur son terrain de prédilection : celui de l’imagination et de la recherche iconographique. Pendant plusieurs mois Guillaume m’envoie toutes les références possibles qui pourraient m’inspirer sur la Renaissance en Italie : costumes, outils, bateaux, métiers… Autant de précieux matériaux destinés à nourrir l’imaginaire et à préciser les traits. Les caractéristiques d’un chapeau de forme oblongue, décrit par les intuitifs, prennent sens lorsqu’elles sont confrontées aux gravures d’époque, de même que les descriptions de lieux.

Par où commencer ? Les grandes étapes de la vie de l’objet doivent nous servir de trame : sa naissance dans un atelier de potier, ses premiers acquéreurs, ses voyages dans les ports… Puis sa chute dans la mer, décrite avec précision lors d’un naufrage, enfin sa découverte plusieurs siècles plus tard et sa présentation au musée. La ligne nous paraît suffisamment cohérente pour être exploitée : huit scènes doivent constituer un panneau à placer à côté de la vitrine des poteries ligures, huit scènes que je dois recréer et que tout le monde attend avec impatience. On veut connaître l’histoire du mystérieux cruchon à l’inscription christique.

Raconter une série d’informations en une seule image, dont la lecture soit claire et limpide, est un vrai exercice de narration. Il faut penser sa composition comme un tableau tout en gardant à l’esprit que les cases seraient petites, comme une bande dessinée. Chaque scène étant potentiellement une époque en soit, j’ai décidé qu’elles se distingueraient par leur teinte chromatique. Mais quels visages donner aux personnages ? L’apothicaire est décrit comme ayant des traits fins et allongés, le commanditaire comme étant maigre et dégarni, le « moine » comme un homme à la fine barbe et aux traits osseux avec des yeux puissants : autant de mots évocateurs qui m’inspirent. Ma propre intuition fait le reste. Cette capacité joue une grande place dans le dessin. Quand un trait est juste, on le sent plus qu’on ne saurait l’expliquer.

 - Les défis de la narration

Le moine et le cruchon

Je montre mes esquisses à l’équipe : les uns et les autres s’y retrouvent. L’alchimie prend, l’histoire du cruchon s’incarne par le dessin. Vite, il faut maintenant mettre tout au propre avant la mise en place au musée. Alexis m’annonce que le panneau sera remplacé par un écran : « Tu sais quoi, on va faire un film ! » Je n’avais pas prévu cela. Et encore une fois, je ne sais plus si je suis là pour filmer ou dessiner… Les deux visiblement ! Le challenge m’emballe mais l’annonce du changement de format me laisse peu de temps pour trouver comment donner vie aux dessins, avant les premiers visiteurs.

Le compte à rebours est lancé … Mais après tout, quand on sait que le temps n’existe pas, ça allège la pression !

Les défis de la narration - petit croquis

Petit croquis de David fait en quelques minutes à l’aéroport

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